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1 la voix de toutes les luttes 2 une enfance à détroit 3 les grèves des années 40 4 la musique, pas le business 5 le déclic du newport folk festival 6 femme blanche, chanteurs noirs 7 lettre à bob dylan 8 non à toutes les guerres 9 paredon records, le label des peuples barbara dane le chant partisan trop caractérielle et engagée à gauche pour l'industrie de la musique, la chanteuse américaine barbara dane est restée dans l'ombre de louis armstrong, bob dylan ou joan baez. elle a donc mené une longue carrière de voix militante, utilisant ses chansons à la jonction du jazz, du blues et du folk, comme armes de mobilisation en faveur des causes de son époque : droits civiques, ségrégation, guerre du vietnam. aujourd'hui âgée de 86 ans, elle retrace les mille rebondissements de sa vie d'artiste guidée par le refus de toute compromission. la voix de toutes les luttes livin' with the blues barbara dane - livin' with the blues, 1959, dot records, usa q uand barbara dane s'est garée devant le bateau ivre, le restaurant où nous avions rendez-vous à berkeley, près de san francisco, sa voiture portait un énorme autocollant qui proclamait : "je suis déjà contre la prochaine guerre". je l'avais bien retrouvée. cette dame, qui s'est difficilement tirée de son véhicule à l'aide d'une canne qui l'aidait à compenser une hanche épuisée, était bien celle qui me toisait depuis quelques mois sur la pochette d'un disque de 1966 enregistré avec un quartet de gospel noir, découvert par hasard sur internet. j’avais depuis fouillé un peu et la vie de barbara dane avait commencé à se déployer. étaient apparus dans le paysage louis armstrong, pete seeger, bob dylan et joan baez, les marches contre la ségrégation et les rassemblements géants contre la guerre du vietnam. de l'après-guerre aux années 70, la chanteuse ne fut jamais loin des événements, et sa vaste discographie se promène avec eux entre blues, jazz, folk, gospel et musiques latines. mieux, on la retrouve également à la tête de l'une des maisons de disques les plus atypiques et engagées de la seconde moitié du xxe siècle, paredon records, qui est parvenue à faire sortir des chansons des pays les plus fermés de l'époque (cuba, palestine, espagne, vietnam, angola…) et reste un témoignage fascinant pour qui s'intéresse aux musiques populaires. barbara dane a vécu plus de choses que 100 musiciens réunis en n'en faisant qu'à sa tête. marraine hyperactive des luttes chantées, elle a traversé son époque une pancarte à la main. et si elle n'a pas connu le succès de certains musiciens plus arrivistes ou conciliants qu'elle, elle mérite bien d'apparaître dans le grand roman musical américain du siècle passé. car, pour elle, "il ne s'agissait pas d'être la plus grande des chanteuses, mais d'avoir la bonne chanson au bon moment. être là, vouloir être là. voilà, je vis la musique comme un activateur, quelque chose qui allume un feu dans l'esprit des gens." “la bonne chanson au bon moment, la musique comme un activateur, quelque chose qui allume un feu dans l'esprit des gens.” tweeter une enfance à détroit good morning little school girl fred mcdowell – the alan lomax recordings, 2011, mississippi records remastered domino sound, usa d e passage à san francisco, j'avais contacté barbara dane, qui a aujourd'hui 86 ans. ça n'a pas été bien compliqué : elle gère elle même son site internet et répond à ses emails à la vitesse de l'éclair. là, dans la belle salle boisée du bateau ivre, j'ai enfin vu s'asseoir en face de moi la grande gueule qui se dessinait dans les rares interviews que la chanteuse a données. car barbara dane n'est qu'à peine mentionnée dans les ouvrages sur le blues ou le revival folk des années 50 et 60. autant chanteuse qu'activiste et tête brûlée, elle s'est toujours trouvée juste à côté du cadre que nous connaissons bien aujourd'hui, dominé par les personnalités de pete seeger ou bob dylan. pourtant, elle a traversé ces décennies de l'après-guerre avec une rage que peu de musiciens ont égalée. "toutes les chansons que j'ai chantées, ce sont des choses que je pourrais dire , m'a résumé d'entrée barbara dane avec le regard d'une vieille dame terriblement fière et moqueuse. il n'y a rien que je m'empêcherais de dire. j'ai essayé, et j'essaye encore, d'être une voix pour ceux qui n'ont pas de voix, de connecter deux mondes qui ne se parlent pas." il faut dire que barbara dane est née là où le xx e siècle capitaliste se construisait : à détroit, en 1927. la ville américaine est alors la championne fumante du modernisme industriel où, dans l'usine ford de highland park, fut installée la première chaîne de montage en 1913. entre les deux guerres mondiales, détroit s'embellit à une vitesse délirante, découvre le confort moderne et attire des ouvriers du monde entier. c'est cette même gloire étincelante qui s'est aujourd'hui éteinte avec une violence sociale terrible : la ville s'est déclarée en faillite au mois de juillet et les images de son centre historique dévasté n'en finissent pas depuis de faire la une des journaux. "je n'aurais pas été ce que je suis sans détroit , dit aujourd'hui la chanteuse. ma famille vivait dans un quartier ouvrier blanc et pauvre, avec beaucoup de gens venus d'europe ou d'autres états américains pour chercher du travail. " la culture américaine s'invente alors dans ce melting pot, au sein duquel barbara dane évolue avec beaucoup de curiosité. " il y avait une partie de détroit qu'on appelait - et qu'on appelle toujours - greektown, qui était encore presque entièrement grecque. ça m'intéressait beaucoup ! pour moi, ma ville c'était ma culture. mes racines, c'étaient celles de la deuxième génération grecque, ou italienne, ou autre… avec un ami, on zappait parfois l'école pour passer l'après-midi à greektown. il y avait un café où un vieux type chantait des ballades de la pègre grecque, des trucs sur l'opium, etc. c'était du rebetiko, du blues quoi ! ça me fascinait. mon ami lui a dit un jour que je savais chanter et il a voulu me transformer en chanteuse grecque ! j'ai appris bien quelques chansons, mais il est tombé malade et il est parti en arizona. je ne l'ai jamais revu. ma jeunesse s'est passée comme ça, toujours en train de sauter d'une culture à l'autre. " “être une voix pour les gens qui n'ont pas de voix, connecter deux mondes qui ne se parlent pas.” tweeter les grèves des années 40 union burying ground woody guthrie – vol.8 - struggle, albatros, 1976, italie t rès tôt, la jeune chanteuse se découvre un terrain de jeu de prédilection dans les grèves des ouvriers de l'automobile, qui scandent toutes les années 40 à détroit. c'est l'époque de la confrontation entre des syndicats enfin puissants et des patrons qui savent bien qu'ils devront lâcher et améliorer la vie quotidienne de leurs ouvriers, mais tentent, emmenés par henry ford, de retarder cette échéance. "mon père était pharmacien, il tenait un drugstore et se voulait assez bourgeois. il ne voulait pas qu'on parle avec l'accent des bouseux de l'arkansas d'où il venait. sa mentalité, c'était de rester loin des ennuis et de ne pas se mélanger. donc il ne voulait pas que je fréquente les syndicats et les noirs. mes parents pensaient que j'étais folle, c'est entre autres pour ça que je suis partie à 18 ans." après une première grève violente en 1941 dans l'usine ford de river rouge, ce sont les usines chrysler qui s'enflamment en 1948. barbara dane est sur le piquet de grève guitare à la main, au sein d'un mouvement qui fera aussi indirectement avancer la question de l'égalité entre les travailleurs blancs et noirs. en effet, si, chez ford comme ailleurs, les dirigeants construisent des logements et des églises pour leurs ouvriers noirs, c'est avant tout pour acheter leur voix contre les salariés blancs… -- dans les défilés, barbara dane apprend ses premières chansons de combat. "juste avant la seconde guerre mondiale, il y avait des gens comme pete seeger et woody guthrie, qui construisaient une passerelle entre le mouvement des